Notre Archipel Normand, sa langue et sa littérature (3)

October 10th, 2012

Jèrriais Logo
Back

Notre Archipel Normand, sa langue et sa littérature (3)

Office du JerriaisGuernsey, history, Minority Languages, Normandy

J’bliodgons un discours qu’AA Le Gros fît en Dgèrnésy en 1872.

We’re blogging an 1872 literary lecture by Jèrriais author AA Le Gros (report published in French).

La deuxième partie de ce savant discours a trait au siècle présent, qui vit si vite, qu’on n’a presque pas le temps de jeter un regard en arrière; les vieilles choses, les traditions du passé s’écroulent. Heureux est-il si quelque main charitable vient en avant pour restaurer, non détruire! Une telle main s’est avancée au sein de notre île pour sauver la vieille langue commune à Guernesey et à Jersey.
George Métivier
“Ai-je besoin, a continué l’orateur, de nommer l’illustre Georges Métivier, (Applaudissements frénétiques, qui montrent quelles racines son génie a su prendre dans tous les coeurs et qu’une étincelle enflamme) ce vieillard vénérable, qui est en quelque sorte la personification de sa patrie, cet homme au grand coeur, qui, par amour pour elle, a consacré sa vie à l’étude de cette langue qu’il chérit, et que nous devons tous chérir, le vieux normand des îles. Combien sont précieuses les
Rimes Guernesiaises! Qui oubliera jamais Ma Tante, Dame Toumasse, Maître Sanué, la Maison Ensorchelaïe, la Chanson des Faucheux. Si Wace est l’Homère de la Normandie, Métivier en est le Burns. Comme Burns, il aime cette belle nature si prodigue de charmes; la simple fleur lui révèle ses secrets, l’oiseau lui fait comprendre ses chants.”

Après cette magnifique appréciation du grand inspirateur de toute la pléïade poétique qui honore nos îles, M. Le Gros a donné des extraits de ses oeuvres pour prouver ses opinions. Puis il a repris: “Le plus grand barde de nos îles, l’illustre Rimeux du Castel, a droit à toute notre reconnaissance, et ne sera pas oublié tandis qu’il y aura dans nos îles des enfants fidèles au passé et qui chérissent le langage naïf de leurs ancêtres.”
L’orateur a ensuite passé à M. Guilbert, des Hommets. “Et Nicolas Guilbert, pourquoi s’est-il tu? Pourtant c’est un poète, un vrai poète. Tout en respectant ses motifs, nous ne pouvons comprendre ce silence de la part d’un homme que la nature a inspiré:
“Faire en riant rime après rime,
Est-che après tout un grand crime?”
“Un vrai poète peut-il se taire? Non! il ne peut étouffer ce souffle intérieur de génie qui le pousse sans cesse. Nicolas Guilbert ne doit pas se taire. Il le doit à sa patrie, il le doit à lui-même. Le génie c’est le don de Dieu, et il est du devoir de ceux qui le possèdent de le faire valoir.” (Applaudissements prolongés dans une partie de la salle, où nous apprenons que M. Guilbert se trouvait.)
M. Le Gros a beaucoup cité les écrits de M. Guilbert. La lecture des ces vers, a-t-il dit, lui rappelle les peintures de Rosa Bonheur, les travaux pénibles et les joies douces de la vie des champs. Il a ensuite fait la revue de M. Thomas Lenfesty et de M. Corbet, l’amour pour le prochain, la large philanthropie du premier, la simplicité des Feuilles du dernier, dont il en a cueilli plusieurs.
Passant à Jersey, il nous a dit que Matthieu Le Geyt est le premier qui ait essayé d’écrire en jersiais. Lélius, autrement M. Robert-Pipon Marett, procureur de la Reine, est celui qui s’est le plus distingué eécrivant le jersiais. On trouve dans ses pièces une parfaite connaissance de la vie rustique, des manières du peuple. La Fille Malade, le R’tou du Terreneuvii, les Viers Garçons, les Vieilles Filles, les Aviers sont autant de pièces remplies d’esprit et de beauté. M. Le Gros s’est surpassé en récitant le R’tou du Terreneuvii; ceux qui l’ont entendu ne l’oublieront jamais, surtout lorsqu’il est venu au sel mis sur les crêpes au lieu de sucre; après avoir bien fait rire, il a presque excité nos larmes en répétant la Perte du Laurel, par M. Philippe Asplet, la description d’une tempête et les beaux vers dans lesquels il flétrit l’intempérance:
“Chu vice immonde
Qui va dévastant tout le monde!
Qui a détruit tant de bonheurs,
Qui a fait verser tant de larmes,
Qui a fait saigner tant de coeurs.”
M. Henri-Luce Manuel, qui signe L., est auteur de plusieurs pièces, tant sérieuses que comiques. Il est le seul de nos trouvères qui ait essayé le genre dramatique. Voici une adresse à Remenyi, le grand violoniste:
“Souonn’ donc, sounneux! – Fuôt’ ton violon, –
Que ton archet alle une chanson
De li, coumm’ il seu’ peut donnè.
Coumm’ n’y a qu’violon peut chanté!
Souonn’ donc, sounneux.”

Quelque temps aussi a éte consacré au St.-Louorenchais, dont les chansons deviendront populaires.
Nous donnons la conclusion du discours. “Les citations que nous avons faites suffisent pour donner une idée de la littérature normande des îles. La vieille langue vit encore, et, certes, nous ne serons pas de ceux qui lui donneront le coup de la mort. Nous respectons trop ses cheveux blancs. Et si nous tenons de conserver notre vieux patois, ne perdons pas de vue la langue française, qui est la langue de nos temples, de notre législation et de nos tribunaux; en un mot, la langue de notre civilisation. Qu’elle devienne de plus en plus la langue de notre instruction, et non-seulement la langue de nos écoles élémentaires, mais celle de nos collèges. et soyons assurés qu’en plaçant dans nos collèges Elisabeth et Victoria, le français comme base principale de l’instruction, nous rendrons ces établissements plus profitables tant en vue de l’instruction qu’en vue de l’économie. On verrait plus de familles anglaises y envoyer leurs fils pour y apprendre le français, la conversation par les deux langues anglaise et française. Donnons au français pour le moins autant d’importance qu’à l’anglais. Que le français ne soit plus une langue morte chez nous. Donnons-lui plutôt la prépondérance. Et tout en étant fiers d’appartenir à la couronne britannique, n’oublions jamais que nous sommes avant tout Normands. et n’est-ce pas un avantage, au moment où l’on anglicise tout, de pouvoir comprendre Wace et les Trouvères, de pouvoir penser avec Shakespeare et Corneille, méditer avec Milton et Racine, et rêver avec Byron et Lamartine?”

Telle est, en raccourci, cette noble conférence, à laquelle il n’y a qu’une lacune, mais une qu’il n’était pas au pouvoir de l’orateur de combler. L’énumération et la place des oeuvres poétiques de M. Le Gros lui-même dans le livre d’or de la littérature normande dont il nous a si savamment déroulé les feuillets. – Gazette de Guernesey